Il y a des lieux qui n’ont pas besoin de campagne publicitaire : ils s’imposent d’eux-mêmes, par la force tranquille de leur beauté. Berber Lodge fait partie de ceux-là. Depuis son ouverture en 2018, cet hôtel niché au pied de l’Atlas, à une grosse demi-heure de Marrakech, est devenu l’incarnation parfaite d’un rêve décoratif que l’on croyait réservé aux magazines. Pourtant, derrière l’image idyllique se cache une philosophie précise, presque militante : celle du tourisme lent dans un cocon wabi-sabi brûlé de soleil.
Pourquoi Berber Lodge nous fait-il tous craquer ?
Ce n’est pas seulement un hôtel joli. C’est un manifeste. Romain Michel-Ménière, architecte suisse tombé amoureux du sud marocain en 2002, a voulu créer un refuge où l’on vient se taire, lire, marcher pieds nus et oublier que le monde tourne trop vite. Dix lodges seulement, construits en pisé et torchis selon les méthodes ancestrales techniques berbères, avec l’aide du célèbre duo Studio KO et du paysagiste Arnaud Casaus. Résultat ? Une oasis de calme où chaque détail respire l’authenticité sans jamais tomber dans le folklore.
Les photos circulent en boucle sur Pinterest et Instagram, reprises par des marques scandinaves ou belges pour leurs lookbooks. On comprend pourquoi : l’endroit coche toutes les cases du désir contemporain – imperfection assumée, matériaux bruts, palette monochrome de terres, artisanat vivant. Mais surtout, il propose une émotion rare : celle d’être exactement à sa place.
L’architecture vernaculaire revue avec élégance
Le pisé (terre crue compactée) forme les murs épais qui gardent la fraîcheur même quand le thermomètre dépasse 45 °C dehors. Les plafonds sont en troncs de palmier et roseaux tressés, technique millénaire qui crée naturellement des motifs graphiques. Les sols ? Tadelakt ou simple terre battue légèrement cirée. Aucun carrelage industriel, aucun faux plafond. Tout est respirant, vivant, imparfait – et c’est précisément cette imperfection qui rend le lieu si magnétique.
Studio KO, déjà derrière la sublime villa K ou le musée Yves Saint Laurent de Marrakech, a su garder l’âme beldi tout en apportant une rigueur contemporaine. Les volumes sont généreux mais jamais ostentatoires, les ouvertures parfaitement cadrées sur l’Atlas enneigé ou sur les champs d’oliviers centenaires.
Le wabi-sabi brûlé de soleil
On parle beaucoup de wabi-sabi japonais, mais le Maroc en propose une version méditerranéenne brûlante et sensuelle. Ici, l’imperfection prend la forme de murs légèrement ondulés, de poteries ébréchées devenues lampes, de couvertures haïk élimées qui servent de jetés. Rien n’est neuf, tout a une histoire. Les tapis beni ouarain ou boucherouite vintage sont usés juste comme il faut, les banquettes basses sont recouvertes de lin froissé qui ne craint ni les taches ni le temps.
Cette esthétique de la patine touche une corde sensible : dans un monde de surconsommation, elle nous rappelle qu’un objet abîmé peut être plus beau qu’un objet parfait. Et surtout, elle fonctionne incroyablement bien avec la lumière marocaine, dorée et rasante, qui transforme chaque jour réinvente les volumes.
Comment ramener un peu de Berber Lodge chez soi (sans déménager au Maroc)
La bonne nouvelle, c’est que cette esthétique voyage extrêmement bien. Voici les pistes les plus efficaces que j’ai testées moi-même ou vues fonctionner à merveille sous nos latitudes.
- La palette couleur : oubliez le blanc clinique. Optez pour des beiges rosés, des terres brûlées, des ocres délavés. La teinte Jitney de Farrow & Ball ou Setting Plaster sont des valeurs sûres qui rappellent instantanément le pisé marocain.
- Les matières : terre cuite (zelliges irréguliers, pots, lampes), lin froissé, laine brute, bois flotté ou brûlé, rotin vieilli. Évitez tout ce qui brille.
- Les indispensables à chiner : un tapis berbère vintage (même petit), une ou deux poteries tadelakt brut, une couverture haïk pour plaquer sur un canapé fatigué, une suspension en fibres tressées.
- Le secret de l’ambiance : multiplier les niveaux de lumière très douce (lampes en terre, bougies, guirlandes lumineuses cachées) et laisser traîner quelques livres et plaids comme si on venait de quitter la pièce.
Personnellement, j’ai récupéré une vieille banquette des années 70 et je l’ai entièrement rhabillée : dossier tendu d’une couverture haïk rayée main (trouvée à Marrakech mais on en voit de plus en plus en Europe), assise en gros lin teinté à la main dans un beige rosé. Résultat ? Elle fait Berber Lodge dans mon salon parisien, et pourtant elle n’a coûté que le prix du tissu.
L’ironie douce-amère du succès
Comme le soulignait une lectrice marocaine dans les commentaires de l’article original, il y a quelque chose de délicieusement ironique : les Marocains eux-mêmes ont souvent déserté ce style traditionnel au profit de salons Louis XV dorés ou de cuisines ultra-modernes. Et voilà qu’un Suisse reconstruit l’âme de leur patrimoine pour un public international qui paie cher le privilège de dormir dans une maison de terre…
Cette ironie n’enlève rien à la beauté du projet. Au contraire : elle montre à quel point une esthétique peut être universelle quand elle est sincère. Berber Lodge ne singe pas le Maroc, il le sublime. Et en le sublimant, il nous rappelle que le beau n’a pas besoin de clinquant pour exister.
Et si on ralentissait vraiment ?
Plus qu’un hôtel, Berber Lodge est une proposition de vie. Pas de télé, pas de wifi dans les chambres (mais dans les parties communes pour les accros), piscine d’eau de source, potager bio, pain cuit au four en terre chaque matin. On vient ici pour lire trois livres en trois jours, marcher dans les oliveraies, discuter avec les autres hôtes autour du feu quand le désert se rafraîchit le soir.
Dans un monde où tout va trop vite, l’endroit propose le luxe ultime : le temps. Le temps de regarder les ombres s’allonger sur les murs en pisé. Le temps de comprendre que le bonheur tient souvent dans un bol de tajine fumant, un tapis usé sous les pieds nus et le silence enfin retrouvé.
Et vous, seriez-vous prêts à troquer une semaine de city-break frénétique contre trois jours de lenteur absolue dans le désert ? Je crois que la réponse est dans la façon dont votre cœur a réagi en regardant les photos…