Il y a des styles qui ne vieillissent pas. Qui traversent les modes comme une vieille maison traverse les saisons : un peu plus patinée, un peu plus belle. Le style campagne rustique anglais en fait partie. Ce n’est pas juste une tendance, c’est une philosophie : accepter le temps qui passe, célébrer les traces d’usage, préférer la chaleur d’un mur irrégulier à la froideur d’un enduit parfait.
Les Anglais ont cette capacité rare à rendre le brut élégant. À transformer une ferme du Sussex en œuvre d’art vivante ou un deux-pièces londonien en refuge wabi-sabi. J’ai sélectionné pour vous trois intérieurs qui incarnent parfaitement cette idée. Trois ambiances où le rustique n’est jamais synonyme de négligé, mais de caractère.
Le rustique anglais : quand l’imperfection devient un luxe
Avant de plonger dans ces trois maisons, prenons un instant pour comprendre pourquoi ce style nous touche autant. Ce n’est pas seulement une question d’esthétique. C’est une réaction à notre époque lisse, filtrée, trop parfaite. Le rustique anglais propose l’antithèse : des murs qui racontent une histoire, des sols qui craquent doucement, des couleurs qui absorbent la lumière plutôt que de la réfléchir.
Ce style oscille entre deux pôles : le vrai rustique (poutres noircies, pierre apparente, objets usés) et le « rough luxe », cette version plus sophistiquée où l’on garde la rugosité mais avec une maîtrise absolue des proportions et des matériaux. Les trois exemples qui suivent se situent quelque part entre ces deux mondes.
1. Un deux-pièces londonien qui défie tous les codes
Imaginez un immeuble Art Déco des années 30 à Hampstead, avec ses volumes étroits et ses finitions d’origine plutôt froides. C’est là qu’Amy Revier, artiste textile, et son compagnon ont créé un cocon sombre et enveloppant qui n’a rien à envier à une maison de campagne.
Ils ont tout peint : murs, boiseries, même le plafond parfois. Des teintes inspirées directement du parc voisin : gris-vert lichen, prune profonde, brun terre. Le résultat ? Une ambiance de clair-obscur permanent, où chaque lampe devient précieuse. Le mobilier est simple mais choisi avec soin : un vieux banc de monastère, une table en bois brut, des textiles en lin épais.
Ce qui frappe, c’est l’acceptation totale des imperfections. Les traces de peinture ancienne n’ont pas été masquées. Les plinthes écaillées cohabitent avec des œuvres contemporaines. C’est du wabi-sabi version londonienne : la beauté de l’éphémère, dans un appartement locatif qui plus est.
Leçon à retenir : on peut créer une atmosphère campagne rustique même dans 50 m² en ville. Il suffit de oser la profondeur des couleurs et de travailler la lumière comme un matériau à part entière.
2. La maison de Jeska & Dean : le rustique contemporain
Direction l’East Sussex maintenant, chez Jeska et Dean Hearne, fondateurs de la boutique The Future Kept. Leur maison est le parfait exemple de ce qu’on appelle aujourd’hui le « modern rustic ». On y trouve tous les codes du rustique anglais traditionnel : poutres apparentes, cheminée en pierre, parquet ancien… mais réinterprétés avec une sensibilité très actuelle.
La cuisine est particulièrement réussie. Des plans de travail en bois massif brut, des façades en chêne teinté noir mat, une crédence en zellige irrégulier vert sombre. Rien n’est parfaitement aligné, rien n’est trop neuf. Et pourtant, l’ensemble fait incroyablement contemporain. C’est cette tension entre ancien et actuel qui rend l’endroit si vivant.
Dans le salon, un grand canapé en lin froissé couleur mousse trône devant une cheminée où brûle un feu permanent en hiver. Les murs sont peints dans un gris chaud très profond qui fait ressortir la texture du plâtre ancien. Quelques objets chinés (une lampe en céramique des années 70, un tapis berbère usé jusqu’à la corde) suffisent à habiller l’espace.
Ici, le rustique n’est pas une reconstitution historique. C’est un style de vie : slow, authentique, connecté à la nature. Et ça se ressent dans chaque détail.
3. La maison géorgienne de Cassandra Ellis : l’élégance absolue
On termine en apothéose avec la maison de Cassandra Ellis à Lewes. Cette décoratrice et créatrice de la marque de peinture Atelier Ellis a restauré une demeure géorgienne du XVIIIe siècle avec une sensibilité rare. Le mantra ? « Old new » : respecter l’ancien tout en y apportant juste ce qu’il faut de contemporain.
Elle a fait un choix radical : utiliser une seule essence de bois, le sycomore britannique, partout dans la maison. Plans de travail, bureaux, étagères, même certains sols. Ce bois clair veiné de gris lie subtilement l’ancien (parquets d’origine, cheminées en marbre) et le nouveau. Le résultat est d’une cohérence folle.
Les couleurs sont toutes issues de sa propre gamme : des teintes mates, profondes, inspirées de la nature anglaise. Un vert forêt dans la bibliothèque, un brun cacao dans la chambre parentale, un gris pierre dans le salon. Rien ne brille, tout absorbe la lumière. L’ambiance est incroyablement apaisante.
Ce qui rend cette maison exceptionnelle, c’est l’absence totale d’encombrement visuel. Quelques meubles anciens restaurés, des textiles en lin et laine brute, des céramiques contemporaines posées directement sur le sol. Le vide fait partie de la décoration.
Comment adopter ce style chez soi : mes conseils pratiques
Vous êtes séduits ? Voici quelques pistes concrètes pour insuffler un peu de cette magie anglaise chez vous, que vous viviez en appartement ou en maison.
- Osez les couleurs profondes : exit le tout blanc. Un vert sapin, un brun tabac ou un gris anthracite changent tout.
- Acceptez les imperfections : ne masquez pas les traces du temps, mettez-les en valeur avec un éclairage rasé.
- Misez sur les matières brutes : lin froissé, laine bouillie, bois non traité, pierre apparente.
- Jouez sur les contrastes de texture : un mur rugueux avec un canapé en velours, un parquet ancien avec un tapis berbère moderne.
- Limitez les objets : chaque pièce doit avoir une raison d’être. Le vide fait respirer l’espace.
Et surtout, souvenez-vous : le vrai luxe aujourd’hui, ce n’est pas la perfection. C’est l’authenticité.
Ces trois intérieurs nous le prouvent : on peut vivre dans le rustique sans vivre dans le passé. On peut aimer le brut sans renoncer à l’élégance. Et quelque part, dans cette tension entre ancien et actuel, entre ombre et lumière, se cache peut-être la recette du beau durable.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un vieux meuble abîmé ou un mur un peu défraîchi, ne vous dites pas « il faudrait rénover ». Dites-vous plutôt : « Et si c’était exactement ça, le départ d’une belle histoire ? »
